Steven Grant Rogers // I just don't like bullies, i don't care where they're from.

partie histoire

Les films en noir et blanc, les casquettes de velours, les bretelles par-dessus des chemises repassées impeccablement et tout aussi impeccablement rentrées dans des pantalons en toile, les premières Harley, les téléphones aussi larges que des avant-bras, les sorties dominicales après la messe à Central Park pour pique-niquer tout près du lac avec ma mère, les bagarres dans la cour de récré ou plutôt, les coups que les grosses brutes me donnaient dès qu'ils apercevaient ma frêle silhouette. Ou encore, l'odeur particulière des vieilles cartes du continent européen rougi par le nazisme, les tracés au compas, les traductions simultanées en fond de salle des renseignements extérieurs, le bruit de succion de la boue malodorante sous mes pas dans les campagnes françaises éventrées par les obus.
Le bout de mine de ce crayon au creux de ma main dessinait presque inconsciemment ces bribes de souvenirs qui restaient perpétuels dans mon esprit, ignorant klaxons et autre bavardages divers autour de moi aux tables de ce café tranquille où je m'étais arrêté faire escale depuis bientôt une heure. J'appartenais à cette époque, cette époque lointaine où les idéaux et les convictions se marquaient au quotidien face à l'horreur des journaux, où la Constitution Américaine et les grands principes de la Liberté brillaient de mille feux dans chaque coeur. Oui, j'étais de cette époque, mais cette époque n'est plus la mienne.  

Je crispai mon visage, le penchant de côté un instant le temps d'encaisser ce bip désagréable qui venait de sonner dans mes tympans. Je me tournai pour constater que cela venait du smartphone du type à la table d'à côté. Du moins ce fut ma déduction, malgré l'étrange typologie de bruit qui en sortait. Un bip bref, mais régulier. Strident.

« Are you sure you wanna do this, Steve ? They'll expect us to react. » « I am. And i'm counting on it. » Sharon était face à moi. Depuis combien de temps, je l'ignorais. Mais elle était là. Toujours aussi belle, d'ailleurs. « We can't let them take Tony and our friends. We can't let the world believe this trial is fair and deserved when it's not and AIM is fooling everyone. If we do nothing, it's like giving up. It's like saying they win with a free card for everything. » « Always so dramatic. We never said we had to stand still. » J'arquai un sourcil en toisant la femme aux cheveux roux qui à la table juste à côté. « Well, that's why you already know what i'll ask you to do with Sharon and Buck'. » répondis-je avec un léger sourire entendu, qu'elle me rendit en sirotant sa tasse encore fumante. Je ne voyais pas son regard derrière ses lunettes de soleil teintées, mais je le savais perçant et animé par l'excitation de la mission. Une mission pour sauver les nôtres, capturés par l'AIM depuis le A-Day, et qui seraient jugés devant les caméras du monde entier. « Of course I do. I would have done it with or without your orders. » « Like i said... i was counting on it, » souris-je, amusé comme souvent lorsqu'il s'agissait de converser avec l'espionne la plus retorde de cette planète. Mais le temps d'une fraction de seconde, je fronçai les sourcils. J'avais compté sur cette action de sa part ? Ou je comptais sur cette action à venir, de sa part ? Pourquoi avais-je parlé au passé ? Encore ce bip sonore dans le fond de mes tympans. « Anyway, we'll need the best Captain' speech you have to keep us in the shadows, pal. Hope you still have some written in your little notebook, » se moqua Bucky en posant une main fraternelle sur mon épaule, taquin, me faisant sortir de ma confusion passagère. « Feel free to do it at my place, » rétorquai-je, ce qui le fit se redresser paumes levées en défensif. « Oh no, i'm far better at coverin' your ass, buddy. I leave you the justice motivational stuff. »

Tout le monde rigola. Bucky quitta finalement sa chaise en lâchant quelques pièces de monnaie pour son café. Sa frimousse de sale gosse m'adressa un sourire en coin ainsi qu'un dernier salut militaire, avant de quitter la terrasse. « Buck' ? Hey, where are you goin' ? » Son pas s'accéléra alors qu'il s'éloignait, pour finalement se mettre à courir et véritablement sprinter. Je me levai d'un bond de ma chaise en apercevant l'énorme avion qui démarrait sur la piste d'envol au bout de la rue. Que faisait un tel avion, si ancien, au milieu de New York ?! « Don't do this ! Stop ! BUCKY STOP DON'T DO THIS ! » hurlai-je en bondissant par-dessus les tables de la terrasse avec l'agilité et la rapidité d'un félin, m'élançant à la suite de mon meilleur ami qui s'accrochait déjà au train d'atterrissage. La peur au ventre, je courrai et sautai à sa suite pour le suivre sur l'aéronef ne touchant plus terre. Bientôt les nuages.



Je hurlai, j'appelai mon ami, mais cet entêté de jeune soldat refusa de lâcher prise. Ce missile devait être désamorcé, nous le savions tous les deux. Nous ne pouvions laissé cette arme de Crâne Rouge et d'HYDRA tuer des millions d'innocents. Je rattrapai le sergent Barnes tête-de-mûle, et à nous deux nous ouvrîmes la paroi pour tenter de désamorcer l'engin. Mais je sus au premier regard que ce ne serait pas possible. Une seule issue, forcer son explosion en vol. Je saisis le col de mon coéquipier. « BUCKY WE CAN'T DEFUSE IT ! GET OFF ! LET GO ! JUMP DOWN IN THE WATER NOW ! » Je comptais le pousser de force loin de là, mais je n'en eus pas le temps. Il ne put faire que quelques courts mètres en l'air alors que l'engin explosa. Le souffle chaud et brutal m'assomma presque sur le coup et je n'eus que le temps de voir cruellement Bucky disparaître dans la déflagration de flammes à son tour. J'aurais dû tomber dans le coma avant même de toucher les eaux gelées de l'arctique.

Mais cela n'arriva pas. Le bip strident recommença. M'empêcha de m'endormir. Je rouvris les yeux dans ma chute interminable. Une silhouette rapide perça les nuages, ailes déployées, et m'attrapa au vol.

« Is falling a tradition in your life or what ? » « Not everybody got a flyin' suit, Sam, » raillai-je. Tenu sous lui à la verticale par nos avant-bras verrouillés, je portai mon regard sur le champ de bataille au sol. « There ! The Howlers, drop me there on the tank ! » « Copy that. » « And destroy me those control towers out there ! » « I thought you'd never ask ! At your command, Captain ! » Quelques secondes après, Sam, tout en esquivant les tirs d'artillerie, me lâcha sur le tank nazi fonçant sur mes frères d'armes à terre. Bouclier armé, je l'abattis dans ma chute pour trancher net le canon du char, avant d'entreprendre d'ouvrir de force à mains nues l'écoutille pour mieux sauter dedans et assommer les pilotes violemment.
Leurs corps furent éjectés par mes soins hors du tank peu après, laissant un paquet de grenades dégoupillées dans l'habitacle juste avant de ressortir d'un bond agile et de me protéger de l'explosion bouclier face à moi après une roulade. Quelques instants après, je frappai fraternellement la main de Dum Dum Dugan pour l'aider à se relever, tout en lui rendant son chapeau perdu sous les tirs. Le même salut entre frères se fit avec toute l'équipe des Howling Commandos regroupées. Un tir de sniper abattit un soldat nazi au loin, je tournai mon regard et fis un signe de remerciements à Bucky, posté sur le toit de l'immeuble à moitié démoli pour nous couvrir. Je saluai Sam qui virevoltait joyeusement après avoir abattu ses cibles. Pourquoi était-il là, en 1944 ? Quelle importance. Nous avions une guerre à mener, et à gagner.



« Alright folks, no time for laziness, we got nazis to send back to hell. » « HELL YEAH CAPTAIN ! » Le cri de guerre des Howlers retentit sauvagement, et nous nous élançâmes de nouveau dans la bataille avec la fureur de vaincre qui était devenue légendaire nous concernant. L'espoir de l'armée alliée redoubla, la marée de liberté se déversa sur les nazis vite incapables de bloquer nos avancées fulgurantes et implacables, mon bouclier en avant ouvrant la voix. Je renvoyai d'un revers un obus tiré vers moi comme une brindille. L'impact refit ce bip strident. Une fois. Deux fois. Je me stoppai dans mon avancée, perturbé. Tout ceci était étrange. Pourquoi Sam était là ? Pourquoi Bucky était là ? N'était-il pas tombé de l'avion ? N'était-il pas mort ? Figé au milieu des explosions et soldats enragés, je sentis une douleur physique inconnue prendre mon torse en étau, et du feu dans mon crâne.

« Steve ? » Je fis volte-face, toute cette douleur s'évanouissant d'un coup de nouveau dans un dernier bip. « Are you ready for our dance ? » « Pe... Peggy ? A dance ? » babutiai-je. Sans trop comprendre, je me retrouvai à danser avec la femme que j'aimais alors, perdu, dans ses yeux, son sourire, sa beauté naturelle. Son souvenir cruel. Non. Cela ne pouvait pas. J'étais en Europe. Comment pouvions-nous être ici... Nouveau mal de crâne qui me crispa et me fis la lâcher. « Are you alright ? » Je me redressai pour la regarder, l'air désemparé. Juste à temps pour la voir disparaître sous un missile qui m'expulsa plusieurs mètres au loin. « PEGGY NO ! » « Wow, easy old man ! » Mon dos avait percuté une surface métallique bombée et deux bras m'avaient saisi les épaules pour m'éviter de tomber plus loin. « It's been only 43 hours we're fighting against Thanos' army, but on earth it means already two weeks, amazing uh ? Ah, sciences, time relativity and all. A bit like you and your frozen sleep, somehow. What a small universe. Anyway ! Don't tell me you're already tired, you, the untirable super-soldier ! » Je me retournai et dévisageai Tony, ou plutôt son armure rouge et or salement amochée mais toujours fonctionnelle. Autour de nous, la surface d'une autre planète, la guerre faisant rage dans l'espace comme à la surface. « You lost that pal, try not to do it again, it's my dad's stuff, be respectful ! » m'asséna-t-il avec son humour bien à lui, tapant le côté de mon bras pour m'encourager de nouveau après m'avoir rendu mon bouclier de vibranium.

J'étais perdu. Rien n'avait de sens. Sauf ce bip récurrent, lancinant, terriblement chronométré. « Tony wait ! Your reactor... this noise... » Le bruit venait de son torse. « Oh, this ? Don't worry, it's just a normal sound. » Il tapota son armure avec nonchalance, avant de s'agenouiller posément au sol et de placer ses mains dans son dos. Des hommes armés, dotés d'exosquelettes, le menottèrent et le relevèrent sèchement. Je le regardai effaré sans comprendre. Tout autour, Thanos déployait sa puissance, mais devant moi, Tony était menotté, et d'autres Avengers derrière lui également, tout juste apparus. Il n'avait plus son armure, juste des habits normaux, de détenus. Il haussa des épaules en me voyant consterné, tétanisé. Il ne semblait pas inquiet d'être fait prisonnier par nos ennemis, pas en colère que nous ayons échoué à le protéger de cela.

Mais c'était hors de question pour moi. Dans un accès de colère, je lançai mon bouclier contre les agents de l'AIM qui le lâchèrent. Il ricocha, percuta tous les autres pour libérer les autres Avengers de leur joug. Je me jetai dans le combat, achevant de les assomer au sol et par quelques prises rapides d'expédier tous les contrevenants dix mètres plus loin sans autre forme de procès. Une fois tous à terre, le souffle court non par la fatigue mais la colère et la panique intérieure inconnue qui ne cessait de monter au rythme du bip, je relevai les yeux vers Tony, toujours menotté à quelques mètres de moi avec les autres. De nouveaux agents de l'AIM étaient près de chacun d'eux, comme si mon combat n'avait eu aucun effet. Ils étaient tous d'un calme terrifiant à me regarder. « You tried your best, my friend. Sometimes, shit just happens, you know, and all you can do is just letting go. You deserve to rest. At ease, soldier. At ease. »



Mon coeur s'emballa. Je ne pouvais plus respirer. « Don't worry, you're gonna be fine. It'll just hurt a little bit. » Je compris sans comprendre. Je sus. Je ne pouvais lutter contre l'inévitable. Pas cette fois. Ma main s'ouvrit et mon bouclier tomba au sol. Je tournai lentement la tête pour croiser le regard de Natasha, au loin, dans cette foule qui n'avait rien à faire au milieu de ce champs de bataille intergalactique. Alors je fermai les yeux.
La balle traversa mon front.


Je me réveillai d'un bond à en décrocher tous les fils branchés sur mon épiderme et dans mes veines. Sans même réfléchir je les arrachai tous d'un coup avant de me stabiliser assis sur le bord du lit, le coeur battant à tout rompre. Où étais-je ? Le souvenir du jour du procès se raviva devant mes iris. Le blackout avait été instantané. Etais-je prisonnier d'AIM ? Etais-je seulement vraiment réveillé ou dans un énième abime de rêves et de cauchemars ? Pire, étais-je dans l'au-delà, voué à payer mes années de guerre dans un des cercles de l'Enfer, condamné dans un cauchemar perpétuel ?
Le bip régulier perça mes oreilles et me connecta à la réalité. Je levai les yeux vers l'appareil qui l'émettait. J'étais dans une chambre d'hôpital ou du moins, quelque chose qui y ressemblait, en bien plus vétuste et sombre. Rien de blanc, des murs en béton et le strict minimum en matériel autour de moi, assez néanmoins pour m'avoir ranimé visiblement. La probabilité que j'étais encore dans le coma s'évapora grandement, bien que le doute demeura. Mais où étais-je ?

Je me levai, engourdi, la tête en feu. Je chutai contre le premier mur pour m'y rattraper de justesse, avant de reprendre de l'énergie petit à petit en avançant jusqu'à la porte. Verrouillée. Je tentai d'ouvrir en vain. Je cognai du poing d'abord faiblement contre la porte, puis de plus en plus fort.

« Open the... door... ! Open the door ! » ordonnai-je à quiconque pourrait l'entendre. J'avais remarqué une caméra dans un coin du mur et savais qu'on m'observait, à défaut de peut-être m'entendre si la porte était blindée et insonorisée. Je continuai de frapper, de plus en plus fort, agacé, perdu, voulant savoir. Mon corps dépourvu de sédatifs et autres médicaments, retrouva progressivement sa vitalité. Alors je frappai, encore, et encore, pliant le métal de plus en plus à mesure que je guérissais et retrouvai mon potentiel. Définitivement à bout, je terminai par un violent coup de pied qui acheva de faire voler la porte contre le mur du couloir.  

Je me mis à marcher rapidement puis courir sans savoir où j'allais, bousculant des gens jusqu'à atteindre une grande salle circulaire où je me stoppai. Des milliers de soldats s'affairaient un peu partout à leurs tâches, sans uniforme harmonisé ni réglementaire. Du fait que je n'avais pas été traqué, j'en déduisis rapidement que je n'étais pas chez l'ennemi. La Résistance, dont j'ignorais encore tout, fourmillait sous mes yeux, sans mauvais jeu de mot. Où étais-je ? Plus encore, en quelle année étions-nous ? Ce sentiment de déjà vécu nouait déjà mon estomac sous la crainte de la réponse. La crainte d'apprendre qu'une fois encore tous mes amis étaient morts depuis des décennies. Et que j'allais devoir prendre part à une nouvelle guerre dont j'ignorais encore toute l'ampleur en cet instant.